Histoire africaine : pourquoi il est important de s'y replonger

Dans un contexte de plus en plus trouble, il convient de se replonger dans la manière dont l'histoire africaine a été approchée et d'en débattre pour faire prendre conscience de la richesse et de la singularité de celle-ci.

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<p>Visiteuse de l'exposition Art/Afrique (2017) devant “Ndize : Tail” (détail), de l'artiste sud-africain Nicholas Hlobo, 2010. (Fondation Louis Vuitton, Paris) </p>
 

Visiteuse de l'exposition Art/Afrique (2017) devant “Ndize : Tail” (détail), de l'artiste sud-africain Nicholas Hlobo, 2010. (Fondation Louis Vuitton, Paris) 

© Jean-Pierre Dalbéra
 

« L'Afrique n'a pas d'histoire. L'Afrique n'a pas de conscience extérieure objective donnant lieu à l'universalité. L'Afrique n'a pas d'égard pour la vie individuelle. » Telles étaient les réflexions du philosophe Friedrich Hegel, penseur de l'Afrique dans ses Leçons sur l'histoire de la philosophie, qui ont animé l'histoire des idées pendant près de deux siècles. S'est ensuivie une longue période d'impérialisme scientifique qui, à l'aube de la campagne coloniale, a donné lieu à ce que Cheikh Anta Diopappelait la « falsification consciente de l'histoire africaine ». Soit une sorte de déni systématique de l'apport de la civilisation « nègre ».

 
 

La philosophie de l'histoire hégélienne qui a nourri cette vision a trouvé une fin de non-recevoir chez les Africain·e·s et les africanistes, ouvrant ainsi la voie à ce qui peut être qualifié de controverse historique majeure. Il n'est pas question ici de revenir sur la pensée d'Hegel ; une pluralité d'auteurs comme Mohamed Moulfi, Amady Ali Dieng et Alfred Adler s'en sont chargés. Il s'agit plutôt de présenter les résurgences d'une conception européocentriste qui marque encore profondément les discours et de montrer que le recours à la didactique de l'histoire peut, à son tour, proposer des grilles d'analyse du monde.

 

 

 

Résurgences d'une occultation de l'histoire africaine

Cette dénégation de l'histoire a longtemps perduré. Nous distinguons d'abord le déni systématique des faits passés. Il est perceptible au niveau des controverses entre historiens. L'exemple le plus probant est peut-être le débat ancien autour de « l'origine nègre de la civilisation égyptienne », farouchement contestée durant les années 1960.

Il a fallu ainsi attendre le colloque international du Caire de 1974, parrainé par l'Unesco, pour que, pour la première fois, des archéologues africains confrontent leurs recherches avec celles de leurs homologues européens et américains et qu'enfin l'égyptologie se réconcilie « avec l'Afrique ».

 

 ©  PxHere
L’origine « nègre de la civilisation égyptienne » a été farouchement niée durant les années 1960 et pendant de nombreuses années. © PxHere

 

D'autres thématiques ont été concernées par ces visions de l'histoire : l'antériorité d'une civilisation et d'un scientisme africain, l'Afrique berceau de l'humanité à travers la découverte des vestiges humains les plus anciens, un âge d'or dans l'Afrique noire à contre-courant du Moyen Âge européen, les processus de décolonisation, etc.

Plus proche de nous, il faut distinguer l'occultation par les discours. Celui de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007 suffit à lui-même. Les réactions vives qu'il a suscitées auprès des historien·ne·s, notamment celles de Jean‑Pierre Chrétien, d'Adame Ba Konaré, de Makhily Gassama, de Michelle Lecolle, de Bart Gielis, ont, entre autres, permis de montrer « l'absurdité scientifique et les motifs de la survivance » d'une conception européocentriste ; d'éclairer « le président Sarkozy et, plus généralement, le grand public sur la réalité de l'histoire africaine » ; de mettre en relief les véritables défis qui interpellent l'Afrique d'aujourd'hui et de demain.

« Désencombrer l'histoire de l'Afrique »

C'est aussi dans cette pensée que s'inscrit le travail de « désencombrement » de l'histoire de l'Afrique, entrepris par l'historien et archéologue François-Xavier Fauvelle, récemment élu au Collège de France à la tête de la première chaire pérenne consacrée à l'Afrique. Cette nouvelle écriture poursuit un projet initié dès les indépendances, notamment celui de définir la « place de l'histoire dans la société africaine », pour citer Joseph Ki-Zerbo. Ces réflexions interrogent la fonction véritable de l'histoire et ses répercussions profondes sur l'imaginaire et l'univers mental des Africains, en réponse à ce que le philosophe Anatole Fogou appelle « l'histoire chaotique ». En effet, cette dernière a longtemps été une histoire imposée, fragmentée et tragique tendant à reléguer les « dominés africains » à des êtres dont le seul objectif est la survie face à la misère.

 

 

 

Avec l'appui de l'Unesco et de son Histoire générale de l'Afrique (huit volumes aujourd'hui), un nouveau rapport à l'histoire voit ainsi le jour. Il se traduit en deux points : un nouveau regard sur les faits, une nouvelle conception de l'histoire et de son rôle dans la société.

Créer une conscience historique en Afrique

Ces idées visent concrètement le développement d'une conscience historique du continent. Cheikh Anta Diop, dans son « traité d'histoire » qu'est Civilisation ou barbarie , proposait déjà à la fin des années 1960 la création d'une conscience panafricaine qui passe par la restauration de la mémoire collective et la rectification des vérités historiques falsifiées au fil du temps.

 

 ©  Heike Huslage-Koch/Wikimedia,
Des penseurs et intellectuels de l’Afrique tels qu’Achille Mbembe permettent aujourd’hui de construire une nouvelle conscience historique autour de l’Afrique. © Heike Huslage-Koch/Wikimedia,

 

Il soulève qu'il ne peut y avoir de devenir africain sans forger une conscience historique forte, ciment pour une meilleure intégration sociale africaine. Simultanément ou à la suite de ses travaux, de nombreux historien·ne·s africanistes ont contribué à faire découvrir une histoire de l'Afrique jusque-là méconnue et/ou occultée. L'histoire culturelle et des mentalités a alors pris un essor sans précédent, notamment par le biais de revues spécialisées telles que Présence africaineAfrica Zamani ou encore le Journal des africanistes.

La réflexion s'est par la suite élargie aux discours sur la subalternité, comme le montre l'écrivain Amouna Ngouonimba qui affirme qu'il faut dépasser l'histoire identitaire du Noir. L'historien Achille Mbembe, quant à lui, en se référant à l'époque contemporaine où l'Europe ne constitue plus le « centre de gravité du monde », s'interroge sur l'avenir des concepts de « Nègre » et de « race » qui lui ont été associés dans l'imaginaire. En l'élargissant à toutes les formes de domination ou de subalternité face aux politiques néolibérales, il engage la réflexion sur « l'autre et la vie », sur le nouveau racisme pratiqué à l'échelle planétaire.

 

 ©  Jean‑Pierre Dalbéra
Visiteuse de l’exposition « Art/Afrique » devant des portraits de Zanele Muholi, Fondation Louis Vuitton, juillet 2017, Paris. © Jean‑Pierre Dalbéra

 

Source : Le Point


Beeso

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